Alors qu’un projet de loi « asile et immigration » porte par le ministre de l’intérieur Gerald Darmanin est en gestation depuis plusieurs mois, Emmanuel Macron a annoncé ce mercredi décaler la présentation du projet de loi et vouloir le découper en plusieurs textes courts afin de trouver plus facilement une majorité. Nous ne sommes pas dupes, de telles annonces ne changent rien au fond du problème. Le gouvernement veut nous imposer une loi liberticide, attaquer directement les droits des exilés, durcir les conditions de l’immigration en France et criminaliser les personnes les plus précaires. Opposés à un tel projet, Place Publique défile ce samedi 25 mars à l’appel de nombreuses associations.

Que nous est-il arrivé en 50 ans ? En 1979, le président Valéry Giscard d’Estaing recevait la médaille Nansen, la plus haute distinction accordée pour “services exceptionnels rendus à la cause des réfugiés”. Au soir du 21 avril 2002, le président Jacques Chirac, candidat à sa réélection, appelait à un sursaut démocratique, posant une barrière infranchissable entre la droite et l’extrême droite.  Comment ce qui était hier indicible est-il devenu dicible ? Nous ne semblons plus avoir d’empathie : A l’égard des boat-people d’aujourd’hui, qui traversent la Méditerranée après avoir fui la guerre en Syrie ou au Sud-Soudan dans des conditions souvent dramatiques, à l’égard des personnes déplacées de force à cause des catastrophes telles que des inondations, des tempêtes, des incendies ou des températures extrêmes, nous opposons une fin de non-recevoir.

Migrer ne constitue pas un délit, migrer est un droit et souvent une question de survie.

Cette nouvelle loi « asile et immigration » affirme vouloir “améliorer l’intégration”, mais ne prévoit aucune mesure relative à l’augmentation des capacités d’hébergement, à l’heure où les exilés sans-abri subissent le harcèlement incessant de l’État (évacuations arbitraires sans mise à l’abri, destruction de leurs biens, etc). Or, comment se targuer d’intégrer nos semblables si nous ne sommes même pas en mesure de leur fournir un abri ?Vivre dignement, c’est pouvoir subvenir à ses besoins essentiels et à ceux de sa famille : avoir un toit, de quoi se nourrir et un accès aux soins.

Par sa volonté de limiter l’accès à certains titres de séjour (CSP), qui seraient désormais soumis à de nouvelles exigences linguistiques notamment, le gouvernement prend le risque de mettre de nombreux exilés en situation de rupture de droits (plus d’accès au travail, à la santé, au logement), et donc de les conduire à une précarité certaine. 

En introduisant la mention “métier sous tension” pour obtenir une carte de séjour temporaire, le projet de loi repousse les limites de la décence et propose une vision néocoloniale de l’immigration. Il rappelle en effet les siècles passés, et l’appel à des engagés étrangers réalisés par les empires coloniaux européens à l’abolition de l’esclavage, pour combler le manque de main d’œuvre bon marché. Par cette mesure, le gouvernement prétend améliorer l’intégration des étrangers, mais dans quelles conditions ? Les cartes de séjour temporaires, les cartes de séjour pluriannuelles (délivrées sur présentation d’un diplôme justifiant du niveau minimal de français) et les cartes de résidents (toujours plus rares et plus contraintes) vont plonger les étrangers dans un avenir insécurisé et anxiogène, dépendant de l’accessibilité à ces fameux métiers en tension : De telles décisions seraient rendu à la discrétion de l’administration plutôt que par une voie de plein droit.

Ce projet de loi n’a de cesse de criminaliser les étrangers, en prévoyant notamment d’assouplir les protections contre les mesures d’expulsion par l’instrumentalisation de la ‘menace à l’ordre public’. Cette menace est sujette à la libre interprétation de l’administration qui en use largement afin d’éloigner le maximum d’étrangers sans papiers.

Un tel élargissement des conditions d’éloignement des étrangers facilite leur placement en rétention administrative, qui n’est ni plus ni moins qu’un environnement carcéral dans lequel les personnes sont constamment surveillées par la police. Alors que la durée légale de ces rétentions administratives n’a de cesse de s’allonger, les personnes font parfois face à une succession de peines privatives de liberté : local de rétention administratif, zone d’attente, centre de rétention administrative et maison d’arrêt car la soustraction à une mesure d’éloignement constitue une infraction pénale… Par ces mesures, l’étranger irrégulier n’a de cesse d’être confondu avec un criminel !

La loi Darmanin manque l’occasion de mieux protéger les exilés mineurs, alors que la France a été régulièrement condamnée (9 fois) par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) en matière de rétention d’enfants mineurs. Nous figurons au 3ème rang mondial par le nombre d’enfants non accompagnés en détention, et malgré la CEDH et le comité des droits de l’enfant de l’ONU pointant notre manque de considération pour l’intérêt supérieur de l’enfant, rien n’y fait. L’article 12 de cette nouvelle loi poursuit la même politique en n’interdisant la rétention d’enfants que pour les mineurs de moins de 16 ans, tandis qu’elle est autorisée pour les mineurs de 16 à 18 ans. L’article n’interdit pas le placement d’un mineur, au sein de locaux de rétention administrative ou en zone d’attente. Enfin, l’interdiction de placement en centre de rétention administrative ne s’applique pas à Mayotte, qui détient le triste score de 3135 enfants enfermés en 2021.

Nous ne sommes pas dupes : une telle initiative s’inscrit dans l’escalade autoritaire menée par le gouvernement Français. Elle vise à : volontairement botoxer les chiffres de la délinquance étrangère, légitimer les représentations erronées et discriminatoires de l’étranger, rédiger une loi porteuse de restrictions arbitraires et violentes aux droits et libertés des personnes, organiser la fin de l’indépendance et de l’impartialité des juges, fomenter un révisionnisme rampant de nos principes à valeur constitutionnelle pour servir opportunément  l’idéologie de l’exclusion. Ainsi, le gouvernement a choisi d’envoyer au carré des indigents l’humanité de notre terre d’asile.

En stigmatisant les migrant.e.s, en les classant en “bon.nes” et “mauvais.e.s migrant.e.s”, en facilitant l’extinction de leurs droits, cette loi n’a pour autre objectif que de draguer une extrême droite ayant pour seul credo la discrimination. L’exposé des motifs de cette nouvelle loi, comme son étude d’impact ne permettent pas d’apprécier la mesure des phénomènes que le projet de loi devrait réguler ou l’inefficacité des dispositions législatives actuelles pour atteindre les objectifs visés. Le débat public risque donc d’être sous-tendu par des représentations erronées, voire discriminatoires, de l’immigration, reprise à cette extrême-droite à qui est fait une courte échelle vers le pouvoir. C’est là le vrai danger pour la France.

Parce que migrer ne doit jamais nous priver de nos droits humains, nous disons : Non à la loi Darmanin, qu’elle soit d’un bloc ou par paquets ! Le 25 mars, nous investirons la place publique !

25 mars 2023 | Place Publique