« Vous pouvez compter sur moi pour mobiliser l’expertise et les investisseurs français […] pour la construction de l’oléoduc EACOP. Ce sera une opportunité majeure d’étendre davantage notre coopération ». Ces mots adressés au président ougandais Yoweri Museveni sont ceux du président français Emmanuel Macron, qui, en 2021, assurait le soutien de l’État français à la construction du plus grand oléoduc chauffé au monde (de près de 1 500 kilomètres !). Certes, cela fait partie de la diplomatie économique de la France qui défend ses acteurs économiques à l’étranger, mais pouvons-nous accepter cela lorsqu’il s’agit d’un tel projet de destruction ? L’existence de cette lettre révélée par le rapport des Amis de la Terre s’inscrit dans un paysage de complaisance du gouvernement bien plus vaste vis-à-vis de l’entreprise Total, nouvellement renommée TotalÉnergies.       

TotalDésastres  

Dangers écologiques et sociaux des méga-projets du géant pétrolier 

En 2019, alors que l’Assemblée nationale vote la fin d’une fiscalité avantageuse sur l’exploitation de l’huile de palme, utilisée par Total pour fabriquer des agrocarburants, l’entreprise conteste la décision devant le Conseil constitutionnel. Faute de réponse allant dans leur sens, des députés des Bouches-du-Rhône tentent de voter la prolongation de la niche fiscale qui concernait la raffinerie de la Mède près de Marseille avec le soutien du gouvernement. Depuis, la niche fiscale semble belle et bien vivante puisque l’association Canopée Forêts a déposé un recours au Conseil d’État pour “excès de pouvoir” en 2020, “contre la tentative du gouvernement de maintenir en partie un avantage fiscal pour la production de biocarburants à base d’huile de palme”.

Ces activités sont à l’origine d’impacts dévastateurs sur l’environnement. Selon l’ONG Carbon Disclosure Project, “plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre émaneraient de seulement 100 entreprises”, dont fait partie Total. L’extraction d’énergies fossiles, la construction de gazoducs, la déforestation et la surexploitation causées par les cultures d’huile de palme… la liste des activités polluantes est longue pour le géant français du pétrole. 

Pourtant, Total met en avant ses projets “ d’énergies renouvelables et décarbonées”, et insiste sur sa raisonnabilité quant aux énergies fossiles. Mais les projets que l’entreprise persiste à défendre continuent de s’inscrire dans une logique de rentabilité écocide et socialement dangereuse : Nous sommes dans un cas aggravé de « Green Washing ». Le projet EACOP, dénoncé pour la perturbation catastrophique des écosystèmes qu’il traverserait, l’expropriation injuste de milliers de locaux ou encore sa répression autoritaire sont prouvés. Écologiquement, si l’on peut penser que le pétrole fait toujours partie de notre société et doit, comme le promet TotalÉnergies, être minoritaire à terme, est-il acceptable que la dégradation de l’environnement soit aussi violente ? De plus, même si cette dégradation est évidente (34 millions de tonnes de CO2 par an avec EACOP), saviez-vous qu’elle s’apparente à un bénéfice dérisoire doublé d’un suicide collectif ? L’oléoduc chauffé est censé nous fournir 6,4 milliards de barils de pétrole. Avec notre consommation actuelle de pétrole, nous dilapiderions ce butin en 2 mois seulement. Au-delà de son enrichissement, quel est le bienfait collectif d’un tel projet ? Il nous éloigne clairement du besoin de sortir de notre dépendance au pétrole, et de consommer différemment.  

Total face à la guerre en Ukraine 

Le malaise est encore plus grand depuis l’éclatement de la guerre en Ukraine le 24 février 2022, lorsqu’on a appris que Total profite de la guerre. TotalÉnergies a garanti que l’entreprise n’apportera pas de capital à de nouveaux projets en Russie. 

Mais le géant français continue ses activités, contrairement à ses concurrents comme Shell et Exon se retirerant du pays à l’origine de l’invasion de l’Ukraine. En faisant cette annonce, TotalÉnergies a affirmé que sa position était partagée “avec les autorités françaises qui l’ont bien comprise”. Bien évidemment, il s’agit ici de la souveraineté énergétique de la France, qui doit continuer d’être assurée malgré la guerre. Il reste que le gouvernement, par une telle position, contribue à cacher des vies et des environnements détruits par les activités de TotalÉnergies. Il ne s’est jamais prononcé sur cette lettre, mais du côté ougandais il y a confirmation. Si l’on peut relever une ingérence dans un projet discutablement soutenable, il est également problématique qu’Emmanuel Macron se veuille partenaire d’un président aux dérives autoritaires nombreuses. Le gouvernement est un soutien et un acteur d’un projet destructeur, bien loin des discours humanistes et de l’image de “champion de l’écologie” faisant office de communication pour notre président. 

Le gouvernement : l’arbre qui tente de cacher une forêt de désastres 

Système des Portes Tournantes : la frontière entre intérêts privés et publiques s’efface   

L’implication du gouvernement aux côtés de Total va plus loin qu’un simple soutien. Le rapport des Amis de la Terre “Comment l’Etat français fait le jeu de Total?” nous apprend que plusieurs membres du gouvernement finissent par travailler chez Total, et à l’inverse que d’anciens cadres de l’entreprise prennent des postes importants au gouvernement. C’est un véritable système de portes tournantes entre le géant et l’État. Par exemple, l’ancien conseiller de Jean-Yves le Drian est aujourd’hui un cadre du géant pétrolier. Julien Pouget, actuel senior vice-président chez TotalÉnergies, fut conseiller de François Hollande. Dans l’autre sens, l’énarque Hélène Dantoine a travaillé 8 ans chez TotalÉnergies, et est aujourd’hui directrice de la diplomatie économique au Ministère des Affaires étrangères.

Il y a dans les faits tellement de cas qu’on assiste à un effacement de la frontière entre intérêts privés et publics. Le danger de cette situation apparaît : une multiplication des projets nocifs devrait être punie et dénoncée par les plus hautes instances, mais celles-ci préfèrent aujourd’hui opérer pour soutenir et coopérer directement avec les écocidaires.

Les Amis de la Terre nous informe aussi que la collaboration entre l’État français et la multinationale se fait au mépris d’avertissements multiples de l’ONU : Deux rapporteurs de l’organisation ont ainsi interpellé les intéressés à la suite de la révélation du soutien que la France déploie pour mener à bien le projet EACOP. Ce soutien accompagne une répression importante de l’Ouganda, ayant plusieurs fois arrêté des lanceurs d’alerte, au mépris des droits humains fondamentaux. 

Les cadeaux de l’État accordés à Total 

TotalÉnergies a atteint un bénéfice de 19 milliards d’euros en 2022. C’est un record historique qui détonne plus que fortement avec la situation des Français, qui subissent de plein fouet la hausse des prix sur tous les produits de première nécessité. Pourtant, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, refuse de taxer ces profits records, puisqu’il a affirmé ne pas savoir “ ce que c’est qu’un super-profit”. Face à la crise et la guerre en Ukraine qui génère une hausse sans précédent du coût de l’énergie, le gouvernement est inamovible : il n’y a pas lieu de taxer les super-profits. 

Le gouvernement nous affirme aussi qu’il n’existe pas de raisons suffisantes pour taxer le kérosène utilisé par les avions. À l’heure de la pression croissante sur les ressources naturelles. de la pollution globale de notre planète et des dérèglements climatiques alarmants qu’elle engendre, aucune taxe n’est appliquée sur le kérosène. Pourtant, un plein d’essence ou l’utilisation électrique d’un train, sont taxés à hauteur de 20%. Cette différence de traitement relève d’un choix politique. L’État pourrait encourager le développement du transport ferroviaire en prenant en charge une partie du prix d’un billet de train, ou au minimum en imposant une TVA sur les billets d’avion comme elle existe sur les billets de train. Mais il n’en est rien : Faible avec les puissants, fort avec les vulnérables, c’est la doctrine de ce gouvernement.

Un État écologique ? C’est possible !

Ce qu’apporterait une taxe sur les super-profits : 

Une taxe sur les super-profits se place au premier rang des solutions que peut mettre en place le gouvernement pour contraindre TotalÉnergies à changer sa manière de faire. Elle permet  aussi plus largement de lutter contre l’inflation. Un super-profit est le profit d’une entreprise se chiffrant en milliards, n’étant pas lié à un effort de l’entreprise, mais à une conjecture, à un contexte, le plus souvent une crise et une hausse des prix. TotalÉnergies en est l’exemple parfait : c’est avec la guerre que décollent les cours du gaz et du pétrole, alors que leur demande ne chute pas. Des lors, les entreprises peuvent elles-mêmes augmenter leurs prix et réaliser des bénéfices astronomiques. C’est ce que fait TotalEnergie, avec des super-profits de [leurs récents profits]. Le terme de profiteur de guerre n’a jamais été autant mérité, alors que nombres de français se serrent la ceinture.

Une taxe sur les super-profits pourrait être prélevée pour financer les dépenses publiques, particulièrement dans le contexte d’inflation, aidant ainsi les ménages les plus pauvres. Ce genre de taxe n’a rien d’une nouvelle lubie de la gauche; certains de nos voisins européens l’ont instauré dont le gouvernement conservateur du Royaume-Uni, ou l’Espagne. Avec sa taxe sur les géants de l’énergie et sur les banques réalisant plus d’un milliard de bénéfice par an, Madrid prévoit même de collecter 7 milliards d’euros sur 2023-24 à redistribuer aux collectivités !

Certains clament que la France fixe des impôts déjà outranciers aux entreprises et que cela les pénalisent et reculent le progrès. Si la France est l’un des pays européens avec les plus hauts impôts sur les sociétés, elle est aussi en tête dans les aides à ses entreprises. Ainsi, en comparant avec les pays de l’OCDE, la France est en dessous de la moyenne des impôts sur les sociétés rapportés au PIB.

Il est difficile de dire que TotalÉnergies est pénalisé quand on sait que l’entreprise n’a même pas payé ses impôts en France entre 2019 et en 2022. Est-ce vraiment être trop exigeant que de demander à Total le respect de la loi ? Sommes-nous des remparts au progrès ? Nous ne voulons pas réduire à néant les bénéfices d’entreprise privées, mais simplement qu’elles respectent leurs obligations, et qu’elles servent réellement l’intérêt général. À l’heure où l’énergie devient excessivement chère à cause de l’inflation, un projet de société plus juste est obligatoire. Il est normal de demander de consommer avec une réelle sobriété les bonnes énergies, tout en partageant les richesses trop longtemps perçues par les profiteurs de crise.

Contrôle et devoir de vigilance des multinationales 

Ce soutien injuste et illégitime du gouvernement à TotalÉnergies soulève des questions de société bien plus complexes en lien même avec les questions d’humanisme et de transformation écologique. Pouvons-nous accepter que nos dirigeants soient au service de leurs intérêts personnels au détriment du vivant,de la dignité des personnes, et de la démocratie ?

En décembre 2022, le premier procès sur le devoir de vigilance se tenait, opposant TotalEnergies avec son méga projet pétrolier Eacop/Tilenga face à six ONG (les Amis de la Terre, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE et NAVODA). Le ONG perdent le combat pour l’instant puisque la loi sur le devoir de vigilance demande l’existence d’un plan de vigilance et de mesures effectives, sans donner de précisions sur la façon de contrôler l’effectivité des mesures. De fait, Total a bien un plan de vigilance, quand bien même il reste abstrait et sans impacts sociaux et environnementaux positifs. Selon Juliette Renaud pour Les Amis de la Terre, « la loi n’est pas parfaite mais elle se doit d’être suffisamment large pour embrasser tous les secteurs et couvrir toutes les atteintes aux droits humains et à l’environnement.”. De cette façon, la loi devoir de vigilance est dans les faits inapplicable : Encore une victoire pour la major du pétrole français. Pour nous qui demandons une vraie réglementation et la punition des criminels contre l’environnement, c’est un échec. Mais le combat continue, et ce, jusqu’à la victoire de la justice sur le profit illégitime. 


Face à cette complicité avérée de l’État français vis-à-vis des activités de Total, Place Publique Jeunes demande expressément :

  • L’imposition d’une taxe sur les super-profits, à laquelle Total (comme d’autres) devrait souscrire.
  • Le retrait de Total des territoires dirigés par des régimes violant les droits humains.
  • L’arrêt des projets de Total les plus polluants et dangereux socialement  (EACOP, Tilenga, exploitation de Vaca Muerta, extraction de pétrole à Outeniqua en Afrique du sud). Ces projets bafouent des droits humains. EACOP est protégé par la répression des journalistes et opposants. 
  • L’arrêt des activités de TotalÉnergies en Russie, alimentant la guerre en Ukraine par la production de recettes financières.
  • L’arrêt du soutien diplomatique de l’État à l’entreprise TotalÉnergies dans les États dictatoriaux où elle a des activités. 
  • La demande de la part de l’État francais de l’arrêt immédiat des expropriations des habitants vivant sur les territoires concernés par les projets de TotalÉnergies. 
  • Que TotalÉnergies paye ses impôts sur les sociétés en France, ce qui n’est plus le cas depuis 2019. 
  •  Une mise à jour de la loi sur le devoir de vigilance des entreprises les forçant à tenir compte de la protection des hommes et de l’environnement avec la mise en place de seuil maximum d’émissions carbone,de nombre de m2 de surface terrestre impactée, avec un seuil maximum de destruction d’habitations et dépitements sur des réserves naturelles protégées. 

Sources :

21 mars 2023 | Place publique Jeunes