« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Les mots de Simone de Beauvoir résonnent encore avec un constat dramatiquement vrai. 

Alors que le droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) était garanti depuis plusieurs décennies dans divers pays comme la Russie, l’Afrique du Sud ou la Chine, certains d’entre eux ont supprimé ce droit fondamental, poussés par des mouvements réactionnaires anti-IVG dont le bruit ne cesse de nous assourdir. En Pologne, le Tribunal constitutionnel a jugé l’avortement anticonstitutionnel, sauf en cas de viol, d’inceste, ou lorsque la vie ou la santé de la mère sont considérées en danger. Or, même dans ces cas de figure, les médecins refusent parfois d’intervenir. C’est le cas de Agnieszka T., décédée en janvier 2022, après s’être vu refuser l’avortement alors qu’elle faisait une septicemie.

Le backlash est aussi outre-atlantique : en juin 2022, la Cour suprême américaine est revenue sur son arrêt historique Roe vs Wade, qui garantissait le droit des Américaines à interrompre leur grossesse au niveau fédéral, depuis un demi-siècle. 

Nous nous devons de regarder ces événements avec la plus grande clairvoyance : nous ne sommes pas isolé.es de ces mouvements anti-IVG. En effet, bien que le droit à l’IVG ne soit pas directement remis en cause en France, il fait l’objet de menaces indirectes mais qui n’en demeurent pas moins réelles. Par exemple, en 2012, Marine Le Pen dénonçait ce qu’elle appelle les “avortements de confort” et réclamait leur déremboursement. Plus récemment, en 2021, les députés européens du Rassemblement National ont voté contre une résolution de l’Union européenne qui visait à “garantir l’accès universel à un avortement sûr et légal”. 

Au-delà de ces considérations politiques, c’est l’effectivité du droit à l’IVG qui est mise en péril. Tout d’abord, en raison des déserts médicaux, les femmes ne bénéficient pas toutes des mêmes conditions d’accès à l’IVG suivant l’endroit où elles résident. En France, 17% des femmes qui avortent le font dans un autre département que celui de leur résidence. Cette disparité territoriale conduit à un allongement des délais de rendez-vous et de prise en charge, ainsi qu’à des trajets importants pour les femmes qui ne peuvent pas être prises en charge au plus près de leur domicile. Dès lors, le délai de 7,4 jours en moyenne qui s’écoule entre la première demande pour une IVG et sa réalisation “peut varier de trois à onze jours en moyenne selon les régions” selon le rapport parlementaire portant sur l’accès à l’IVG rendu en 2020. 

A cela s’ajoutent les praticiens qui refusent de pratiquer des IVG en vertu de la clause de conscience spécifique et les fermetures de plusieurs structures ces dernières années. Le Planning familial estime que, depuis quinze ans, 130 centres d’IVG ont fermé leurs portes. Le Monde a, de son côté, dénombré la fermeture de 45 établissements hospitaliers pratiquant l’IVG entre 2007 et 2017. 

Ainsi, l’accès à l’IVG peut s’avérer être un véritable parcours du combattant notamment pour les femmes les plus vulnérables et celles se trouvant en situation de précarité. 

La constitutionnalisation du droit à l’IVG est une garantie de protection face à ces menaces et  ces difficultés. 

Le 24 novembre 2022, l’Assemblée nationale a adopté, en première lecture, une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’interruption volontaire de grossesse dans la Constitution. Ce droit serait traduit en ces termes dans un article 66-2 : « La loi garantit l’effectivité et l’égal accès au droit à l’interruption volontaire de grossesse. ». De ce fait, la loi Veil adoptée en 1975 serait gravée dans la Constitution, un texte juridique beaucoup moins sensible aux changements politiques qu’une simple loi puisqu’il est plus difficile de la réformer. Cependant, pour que sa constitutionnalisation soit effective, la proposition de loi doit être adoptée par le Sénat dont la  majorité est de droite, puis validée par les Français lors d’un référendum ou par l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès. Il est donc crucial de faire face aux franges les plus conservatrices qui bloquent sa constitutionnalisation.

Plus largement, le droit à l’avortement est un droit fondamental, nécessaire pour assurer la liberté des femmes et une égalité entre hommes et femmes. En effet, chaque année, 225 000 femmes subissent des violences conjugales, 94 000 femmes sont victimes de viol ou tentatives de viol. Une femme sur 5 de moins de 34 ans a été agressée sexuellement ou violée en 2022. Hélas ces délits et crimes se déroulent le plus souvent dans l’impunité la plus totale puisque 99,4% de ces viols ne seront pas condamnés (https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/). Place Publique continuera de lutter contre les violences faites aux femmes, comme lors de la marche du 19 novembre 2022, tant que le respect des droits fondamentaux des femmes ne sera pas atteint, au même titre que ceux des hommes. 

Pour protéger les droits fondamentaux des femmes, il est nécessaire  : 

  1. D’inscrire le droit à l’avortement et à la contraception dans la Constitution pour protéger au maximum l’effectivité de ces droits.
  2. De lutter contre la désinformation en ligne propagée par les groupes anti-IVG qui ont une communication très agressive pour répandre de fausses informations concernant les conditions de l’IVG.
  3. D’assurer l’effectivité du droit à l’IVG en garantissant un accès égal à l’IVG sur tout le territoire, y compris au sein même des régions; en créant des postes de praticiens hospitaliers spécialisés dans la pratique de l’IVG et en imposant à chaque service gynécologique-obstétrique en hôpital public de proposer une offre d’IVG.
  4. De mettre en place une exonération généralisée d’avance de frais pour les femmes souhaitant recourir à une IVG.
  5. D’augmenter les subventions dédiées à la lutte contre les violences faites aux femmes, en donnant plus de moyens aux associations qui aident des victimes dans leur reconstruction et en finançant davantage les campagnes de sensibilisation.
  6. De créer des brigades et des juridictions spécialisées et formées en matière de violences sexistes et sexuelles.

Sources :  

15 décembre 2022 | Place publique Jeunes